Un petit clin d'oeil à nos amis américains de New York.
Quelques trouvailles que j’ai faites en étudiant les documents Monumenta Novae Franciae. Qui sont un descriptif chronologique de tous les écrits sur les débuts de la Nouvelle France (Canada) depuis 1612. Ce document est tiré du livre 6 (1644 – 1646) page 536 et suivantes.
L’épisode , se passe en 1643, où un Père Jésuite, le Père Jogues, qui devait partir en ambassade près des Iroquois, fait un descriptif du pays des Iroquois et de la nouvelle Hollande où il a été retenu prisonnier pendant plus de un an dans des conditions extrêmes.
Il y avait alors un conflit assez violent entre les Hurons et les Iroquois. Les français alliés des Hurons ont payé un lourd tribut à cette guerre. Beaucoup de tués, ou prisonniers. Jusqu’à 1666, il y a eu 153 tués et 143 prisonniers. I faut rapporter ces chiffres à la population qui était de 3215 français en 1666 (premier recensement de 1666)! En 1643 au moment où se passe cet épisode il y avait tout au plus 1000 français dans la vallée du Saint Laurent. Ces colons étaient décidément sacrément courageux.
Le père Isaac Jogues qui part en ambassade chez les Iroquois n’avait pas peur du martyr!
Il avait été fait prisonnier par les Iroquois en 1642 (c’était un tout premier acte contre les français – ils visaient volontiers les pères jésuites qui étaient férocement opposés à la religion des Indiens (animistes) et surtout à leurs sorciers). Il subit les tortures habituelles de ces peuples (mutilations des mains, tisons enflammés sur le corps), il échappa de justesse au bûcher ! C’était le sort peu enviable réservé aux prisonniers bien souvent.
Mis en esclavage puis libéré en 1643 par les Hollandais dont c’était le territoire, de retour en Europe, il y est accueilli par la mère de Louis XIV. Par faveur exceptionnelle, le pape Urbain VIII l'autorise à célébrer la messe, en dépit du fait que ses mains étaient mutilées (tortures Iroquoises). Il demande à pouvoir retourner en Nouvelle-France et traverse à nouveau l'océan au printemps de l'année 1644.
Il repart à Québec en 1644. Puis en 1646 en ambassade chez les Iroquois.
Ce document a été écrit en aout 1646, à Trois Rivières. Il décrit le pays des Hollandais et des Iroquois tel qu'il l'a connu en 1642 et 1643, et notamment Manhattan qui aura une belle destinée.
Voici ce qu’il décrit :
« La Nouvelle-Hollande, que les Hollandois appellent en latin Novum Belgium, en leur langue Nieuw Nederland, c'est-à-dire Nouveaux-Pays-Bas, est situé entre la Virginie et la NouvelleAngleterre. L'entrée de la rivière que quelques-uns appellent rivière Nassau ou la grande rivière du Nord (nom de la rivière Hudson), pour la différence d'une autre qu'ils appellent du Zud ( la rivière Delaware)est à 40 degrés 30 minutes. Son canal est profond et capable des plus gros navires, qui montent à Manhattes (Manhattan), isle qui a sept lieues de circuit, où est un fort qui devoit servir de commencement à une ville qui se devoit faire et que l'on devoit appeller NouveauAmsterdam".
Ce fort est à la pointe de l'isle, environ cinq ou six lieues de l'emboucheure, s'appelle le fort d'Amsterdam. Il a quatre bastions réguliers, munis de plusieurs pièces d'artillerie. Dans ce fort, il y avoit un temple basty de pierre, qui étoit assés capable. Le logis du Gouverneur, qu'ilz appellent le directeur général (remarque intéressante. Les Hollandais étaient à vocation commerçante avant tout), basty de brique assez gentiment, les magazins et logemens des soldats.
Il peut bien y avoir en cette isle de Manhate et aux environs quatre à cinq cens hommes de différentes sectes et nations. Le Directeur général me disoit qu'il y avoit de dix-huict sortes de langues. Ilz sont répandus deçà et delà de la rivière en haut et en bas, selon que la beauté et commodité des lieux a invité un chacun à se placer. Quelques artisans, néantmoins, qui travaillent de leur métier, sont rangez soubs le fort ; tous les autres étants exposez aux incursions des sauvages, qui en l'an 1643, comme j'estois là (prisonnier et réduit en esclavage par les Iroquois), avoient bien tué une quarantaine de Hollandois et bruslé beaucoup de maisons et granges pleines de bled.
La rivière, qui est fort droiturière et va réglément nord et sud, est large pour le moins d'une lieue devant le fort. Les navires sont à l'ancre en une baye qui faict l'autre costé de l'isle et elle peuvent estre défendues du fort.
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Les premiers venus y ont trouvé des terres toutes propres, désertées autrefois par les sauvages qui y faisoient leurs champs. Ceux qui sont venus depuis ont défriché dans les bois, qui sont pour l'ordinaire de chesnes. Les terres sont bonnes ; la chasse des cerfs, vers l'automne, abondante. Il y a quelques logis bastys de pierre. Ilz font la chaux avec des coquilles d'huistres dont il y a de grans monceaux faits autresfois par les sauvages, qui vivent en partie de cette pesche. Le climat y est fort doux, comme estant à 40° deux tiers. Il y a force fruits d'Europe, comme pommes, poires, cerises. J'y arrivé en octo bre et j'y trouvé encore quantité de pesches.
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Depuis, quelques nations proche de la mer ayans tué quelques Hollandois de la plus éloignée habitation, les Hollandois tuèrent cent cinquante sauvages, tant hommes que femmes et petits enfans, eux ayants tué à diverses reprises quarante Hollandois, bruslé beaucoup de maisons et faict un dommage estimé dès le temps que j'estois là de 200 000 lt., deux cens mille livres. On leva des trouppes en la Nouvelle-Angleterre. Au com mencement donc de l'hyver, et herbes étant abbatues et quelques neiges étants sur terre, on leur donna la chasse de six cent hommes, y en ayant toujours deux cens en course et se relayant continuellement les uns les autres, de sorte qu'enfermés dans une grande isle (Long Island) et ne pouvants s'enfuyr lestement à cause des femmes et des enfans, il y en eut jusques à seize cens de tués, compris les femmes et les enfans »
Peu après avoir rédigé ce rapport descriptif du pays des Iroquois et de la Nouvelle Hollande, il repart en pays Iroquois et est tué très rapidement par un coup de tomawak puis décapité. Et son crâne exposé !
Isaac Jogues fut canonisé le 29 juin 1930 par le pape Pie XI aux côtés des sept autres martyrs canadiens.
Vue de Manhattan en 1664
J’en conclue que nos craintes de mourir du Covid 19 sont presque pusillanimes en regard des risques pris et du courage des gaillards qui étaient partis habiter sur la côte Est ! Ce n’est pas une raison pour ne pas se vacciner. Je le ferai dès que possible !
« Nous sommes des nains sur les épaules de géants » Bernard de Chartres, du XIIe siècle
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